Décret loi AGEC : une application complexe
L’article 58 de la loi anti-gaspillage pour une économie circulaire (dite AGEC) du 10 février 2020 vise à accroître la part des achats issus de l’économie circulaire dans la commande publique. Ainsi, à compter du 1er janvier 2021, les acheteurs publics doivent acquérir entre 20 et 40 % de biens issus du réemploi, de la réutilisation ou de matières recyclées. Ces dépenses doivent ensuite être déclarées à l’Observatoire économique de la commande publique, sur l’application REAP.
Comment cela se passe-t-il au sein des collectivités ?
Nous avons demandé à Hélène Vurpillot et Antonin Klapka, respectivement cheffe de service et coordinateur des achats à la Direction de la commande publique responsable de la Ville et Eurométropole de Strasbourg, de nous en parler.
Quels sont les freins que vous rencontrez pour répondre aux exigences de ce décret de la loi AGEC ?
Les biens visés par le décret sont identifiés par leur CPV (Common Procurement Vocabulary). Le code CPV classifie tous les achats en 8 000 occurrences. Lorsqu’une collectivité publie un avis de marché, elle doit saisir le CPV qui correspond le mieux à l’objet du marché, et cela permet notamment aux entreprises de bien cibler leur veille.
A la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg, nous saisissons les CPV pour nos consultations mais une consultation peut recouvrir plusieurs CPV. Pour computer les seuils (définir la procédure de consultation nécessaire au regard d’une part du montant du marché mais également des consommations des trois dernières années sur la famille d’achat concernée), nous avons mis en place depuis une quinzaine d’années une nomenclature interne qui comprend 800 entrées, et qui nous aide à vérifier l’adéquation de nos marchés avec les procédures de mise en concurrence. Aujourd’hui, comme le décret de la loi AGEC fonctionne avec les codes CPV, nous rencontrons des difficultés pour identifier les marchés qui lui sont liés puisqu’il n’y a pas de lien entre les CPV et notre nomenclature interne. En effet, faire communiquer les deux approches est compliqué, car, pour une nomenclature interne, peuvent correspondre plusieurs CPV. C’est donc impossible de le faire automatiquement.
Comment faites-vous pour contourner la difficulté d’application de ce décret ?
Chaque année, la Ville et l’Eurométropole de Strasbourg publient environ 2 500 marchés. Il faut donc engager beaucoup de moyens pour cette mission. Nous avons toutefois identifié deux leviers qui nous permettront de répondre aux exigences du décret.
En amont et pour vérifier que le secteur est mature, nous procédons à un sourcing : nos chefs de projets marchés publics contactent les entreprises pour savoir si elles sont en mesure de fournir des biens issus du réemploi, de la réutilisation ou intégrant des matières recyclées. Mais cela doit rester viable et soutenable pour elles : si aucune entreprise ne peut répondre favorablement, nous n’imposerons pas cette condition et nous proposerons plutôt des variantes dans nos marchés.
En aval et pour répondre aux exigences de reporting nous demanderons aux prestataires de nous fournir le montant et le volume de “commandes AGEC” effectuées dans le cadre du marché, afin que nous puissions les déclarer comme nous en avons l’obligation chaque année.
Avez-vous déjà des marchés pour lesquels vous remplissez les objectifs fixés par ce décret de la loi AGEC ?
L’application de la loi AGEC est plus ou moins simple selon le segment d’achat concerné. Par exemple, concernant les biens électroménagers, le ratio entre achat de biens électroménagers en réemploi et achats de biens neufs atteint les objectifs de la loi AGEC. De plus, ces marchés sont passés dans le cadre du groupement de commande permanent, qui permet à toutes les communes de l’Eurométropole, au Syndicat des Eaux et de l’Assainissement Alsace-Moselle, au SDIS 67 et 68 ainsi qu’à la collectivité européenne d’Alsace de lancer des marchés groupés.
Pour les vêtements, comme les bleus de travail, le process pour répondre aux exigences de la loi AGEC est en cours. En revanche, nous n’avons pas encore investigué certains segments, car les fournisseurs eux-mêmes ne sont pas matures.
Selon vous, les autres acheteurs rencontrent-ils les mêmes difficultés ?
Nous avons la chance d’avoir un élu très engagé et moteur sur le sujet, Christian Brassac, qui est vice-président de l’Eurométropole en charge de la commande publique responsable, il contribue à faire remonter nos attentes. Et nous pensons que oui, les autres acheteurs de notre taille ont la même problématique, car chacun a sa propre nomenclature, tout comme nous. Bien sûr, l’application du décret est toute récente, donc il faut aussi du temps pour se l’approprier pleinement.